samedi 12 novembre 2011

"Frankenstein", chap. 5, Mary Shelley - traduction by Madrox

" Ce fut par une morne nuit de novembre que je pus contempler l'accomplissement de mon œuvre. J'avais rassemblé autour de moi, avec une anxiété proche de l'agonie, les instruments de vie, afin d'insuffler une étincelle de conscience dans la chose inerte qui gisait à mes pieds. Il était déjà une heure du matin, la pluie battait, lugubre, contre les carreaux de la fenêtre et ma bougie était presque consumée, lorsque dans la lueur de la flamme vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune et terne de la créature. Elle respirait avec peine et un mouvement convulsif parcourait ses membres. 

Comment pourrais-je décrire mes émotions devant cette catastrophe ? Comment dépeindre le misérable à qui j'avais donné forme, au prix d'efforts et de soins infinis ? Ses membres étaient bien proportionnés et j'avais choisi ses traits pour leur beauté. Leur beauté, grand Dieu ! Sa peau jaune couvrait à peine la ligne de ses muscles et la forme de ses artères, sa chevelure ondoyante était d'un noir de jais, ses dents d'un blanc nacré. Mais cette abondance venait seulement former un contraste des plus épouvantables avec son teint flétris, ses lèvres noires et droites et l'humeur aqueuse de ses yeux qui semblaient presque de la même couleur que les orbites d'un brun sombre marbré de blanc, dans lesquelles ils étaient sertis.

Illustr. Bernie Wrighston

Les divers accidents de l'existence ne sont pas aussi versatiles que les sentiments de la nature humaine. J'avais travaillé dur pendant presque deux années, avec pour seul but d'insuffler la vie à un corps inanimé. Pour ce faire, je m'étais privé de repos et avais sacrifié ma santé. Mon désir atteignait une ardeur qui excluait toute modération. Maintenant que tout était terminé, la beauté du rêve s'évanouissait et une horreur, un dégoût, sans nom emplissaient mon cœur. Incapable de supporter l'apparence de l'être que j'avais créé, je me précipitai hors de la pièce et arpentais ma chambre, sans parvenir à me ressaisir, ni à trouver le sommeil. 
  
Finalement, la lassitude succéda à l'agitation que j'avais auparavant endurée. Je me jetai sur le lit tout habillé et fis de mon mieux pour trouver un bref moment d'oubli, en vain. Je dormis, pour sûr, mais mon sommeil fut perturbé par les rêves les plus fous. Je crus voir Élisabeth, resplendissante de santé, marcher dans les rues d'Ingolstadt. Ravi et surpris, je la pris dans mes bras, mais comme je posai sur ses lèvres un premier baiser, celles-ci devinrent livides et se parèrent du voile de la mort. Ses traits semblaient changer, et je crus tenir dans mes bras la dépouille de ma mère, enveloppée d'un linceul, dans les plis duquel je vis ramper des vers. L'horreur me réveilla en un sursaut. Une sueur froide couvrait mon front, mes dents claquaient et tous mes membres se mirent à trembler. C'est alors que, par la faible lueur jaunâtre de la Lune, comme elle se frayait un passage à travers les persiennes, je contemplai le pauvre diable – le misérable monstre - que j'avais créé. Il avait relevé le rideau du lit et ses yeux, s'il est permis de parler d'yeux, étaient fixés sur moi. Ses mâchoires s'ouvrirent et il marmonna quelques sons inarticulés, tandis qu'un rictus déformait ses joues. Peut-être parla-t-il, mais je ne l'entendis pas. Une main était tendue, manifestement pour me retenir, mais je m'enfuis et dévalai les escaliers. Je me réfugiai dans la cour de ma maison où je demeurais pour le reste de la nuit, faisant les cents pas, en proie à la plus grande agitation, écoutant avec attention et redoutant, au moindre son, de voir s'approcher le corps démoniaque auquel j'avais si misérablement donné vie. "

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