Note préliminaire : ce texte s'appuie sur la vidéo qui la précède et qui est celle du pilote de la série. Certains éléments, présents dans ce générique, disparaitront ou seront modifiés par le suite (notamment le plan de la grume ou l'apparition du titre), mais ces modifications ne remettent pas en cause l'analyse globale de la séquence.
Au premier abord, le générique deTwin Peaks ressemble à ces petits films promotionnels, destinés à mettre en valeur les atouts d'une ville et de ses alentours. Il vante ici les mérites d'une nature paisible et de sa faune (la grive sur sa branche qui ouvre la séquence), d'une activité humaine en accord avec cette nature (l'usine, le grume), d'une nature sauvage préservée (la cascade) et se conclut par un retour à la nature paisible (la rivière et les canards qui nagent près des berges). Au cœur de cette thématique d'harmonie, parfaitement cyclique, se trouve l'image iconique du panneau : Welcome to Twin Peaks. Population - 50201, dressé en bordure de route. Le générique se compose de cinq plans fixes (si l'on compte pour un seul élément la succession des trois plans filmés à l'intérieur de l'usine), d'un léger panoramique et d'un lent travelling latéral qui s'achèvent tous deux sur des plans fixes. Autant de reflets d'un monde stable et rassurant où la vie suit paisiblement son cours. La transition entre les plans est assurée par des fondus enchaînés, qui viennent renforcer le sentiment d'interconnexion entre tous les éléments décrits précédemment. Enfin, la musique d'Angelo Badalamenti, traversée par une ligne de basse hypnotique et des nappes de claviers envoûtantes, rejoue inlassablement son thème principal et souligne pleinement l'ambiance rassurante et feutrée, que nous présentent les images. Ces parti-pris esthétiques et musicaux ne sont évidemment pas innocents. Ils annoncent la volonté de David Lynch d'exploiter les clichés inoffensifs et les ressorts narratifs du soap-opera pour mieux les détourner.
Analyse
Le générique débute par un écran noir où résonnent les premiers accords de basse de la musique, puis s'ouvre sur le gros-plan d'une grive posée sur une branche de pin. Sa collerette orangée s'accorde à la douce lumière automnale qui baigne le plan. L'oiseau tourne légèrement la tête vers la gauche, comme mu par une certaine curiosité. L'arrière-plan est flou, mais laisse deviner un lac aux berges escarpées. A l'horizon, se dessine une ligne sombre qui pourrait être celle des collines que nous retrouverons au plan suivant. Il émane de ce plan d'ouverture un sentiment de sérénité, aussi pur que la musique qui l'accompagne, dans un milieu naturel dépourvu de toute présence humaine.
Cette présence se manifeste dès le plan suivant où, par le truchement du fondu-enchaîné, la grive cède la place à une usine qui crache sa fumée. Du cliché de la nature paisible, nous devrions passer subitement à celui de la nature polluée par l'Homme, mais il n'en est rien. En effet, par sa couleur brun sombre, le bâtiment semble complètement intégrée au milieu forestier qui l'entoure : un sapin aux branches immobiles, une route en terre et la fameuse ligne de collines qui barre, au loin, celle de l'horizon. Même les deux cheminées, dressées fièrement devant un ciel limpide, et les fumées blanches qui s'élèvent autour d'elles, sans qu'aucune brise ne vienne les troubler, participent au sentiment d'équilibre et d'harmonie qui se dégage du plan (dont on appréciera, au passage, la très belle et très ... équilibrée composition). Ce sentiment est amplement relayé par les trois plans successifs montrant, à l'intérieur de l'usine, des machines-outils en train d'affuter des scies circulaires que l'on imagine destinées à la coupe du bois. Alors qu'il s'agit d'une activité a priori très bruyante (on voit des lames de métal affuter d'autres lames de métal dans des gerbes d'étincelles), le mouvement des machines-outils est ramené à une simple, mais gracieuse chorégraphie. La musique gagne un peu en ampleur et une léger son de percussion, assuré par des balais, se fait entendre, qui vient se substituer à celui, strident, de l'affutage. Il n'est pas anodin que le titre de la série apparaisse à ce moment précis (ce qui explique aussi l'amplitude prise par la musique), puisqu'il s'agit précisément de l'image qu'on veut nous vendre de Twin Peaks : une ville dynamique, parfaitement intégrée à son environnement, où même les scies circulaires sont jazzy … Cette image est encore renforcée par le plan d'une grume massive posée sur un wagon de chemin de fer, sorte d'alternative à ces statues du bucheron Paul Bunyan, qu'on trouve fièrement dressées à l'entrée de nombreuses petites villes américaines. A l'arrière-plan de ce symbole d'une activité économique florissante, d'imposants sapins dont les cimes se découpent sur le ciel.
Arrive le plan emblématique de la série avec son panneau : Welcome to Twin Peaks. Population - 50201, sur lequel sont peints, dans un style presque naïf, les fameux Pics Jumeaux aux sommets enneigés et bordés de sapins (encore …) à la taille disproportionnée. Le panneau est planté dans l'herbe au bord d'une route qu'un virage fait disparaître, à gauche, en direction d'une forêt de ... sapins. Derrière le panneau, à moitié dissimulés par le brouillard, on distingue une montagne (un second relief apparaît plus loin à l'arrière-plan, s'agit-il du jumeau ?). En contrebas, une rivière bifurque vers la droite, dans un mouvement presque symétrique à celui de la route. Paix et tranquillité sur Terre ... Pas tout à fait.
Un coup d'œil au cours de la rivière permet de constater que celui-ci est figé. Nous sommes ainsi passé d'une succession de plans fixes, une caméra immobile filmant des éléments, plus ou moins, mobiles, à une caméra immobile qui filme une image, une photographie, par essence immobile. Le temps s'arrête et permet au malaise de s'installer. Si l'on revient à la composition générale de cette carte postale, que voyons-nous : les arbres qui se dressent derrière le panneau sont morts. L'hiver a remplacé l'automne des premiers plans et ses couleurs chaudes. La nature est en sommeil, son temps s'est, lui aussi, mis en suspens. Seuls restent verts les conifères, omniprésents dans tout le générique par le biais des sapins, arbres qui symbolisent la forêt. Une forêt dont semblent ici se détourner la route et la rivière, comme s'il émanait d'elle une sorte de menace. La série confirmera cette impression. Twin Peaks n'est pas une ville ouverte sur la nature qui l'environne, mais au contraire une ville fermée sur elle-même et que sa nature, donc sa forêt, révèle. Une forêt, qui comme celles des contes de fées, est le domaine du mystère, une porte d'accès vers le monde des esprits, mais également l'espace où peut se réaliser l'inconscient, les actes libérés du carcan pesant de la moralité (trafic de drogue, soirées de dépravation, meurtres …). On notera qu'à partir de l'épisode 2, c'est sur ce plan que débutera l'apparition du titre, comme pour mieux souligner ce qui est déjà parfaitement lisible sur le panneau et qui constitue, ni plus ni moins, la ligne directrice de toute la série, à savoir qu'à Twin Peaks les choses ne sont jamais ce qu'elles paraissent. Le voile du soap-opera se soulève au gré du vent qui agite la cime des arbres (plan récurrent de la série) et révèle une réalité bien plus complexe. Ainsi, ce qui devrait constituer le point culminant d'un film promotionnel à la gloire d'une communauté prospère se transforme en paysage brumeux, triste, froid et vide. Le dernier terme a son importance. En effet, le panneau paraît planté au milieu de nulle part. Aucune habitation n'est visible. Seul un poteau électrique, qui émerge au milieu des arbres morts et dont il se différencie à peine, trahit un présence humaine.
Si l'on prend le générique à rebours, on constatera que le phénomène est déjà présent dans les plans de l'usine, dont les alentours et l'intérieur sont complètement déserts. Où sont les voitures des employés ? Pourquoi ne voit-on pas un camion et son chargement garés devant le bâtiment ? Où sont les ouvriers chargés de la maintenance des machines ? Le générique d'une série, qui a pour titre le nom d'une ville, ne dévoilera jamais ni ses habitants, ni ses habitations, ni ses commerces. Les seuls êtres vivants à apparaître, et qui n'appartiennent pas à l'ordre végétal, sont la grive et les canards (ces derniers disparaîtront d'ailleurs dans les épisodes ultérieurs). Où sont les 50201âmes de Twin Peaks ? 50200 en réalité, puisque l'une d'elle vient de mourir ... c'est tout de même le point de départ de la série. Une réalité que le caractère photographique du « plan au panneau », mimétique de la mentalité de la ville, ne permettra jamais d'intégrer. Les choses doivent rester telles qu'elles étaient. Ainsi, le générique nous propose-t-il la vision d'un univers dont l'humain est exclu, une sorte de monde fantôme, Ghost Town, pour faire écho au projet immobilier de Ghost Woods, que le personnage de Benjamin Horne essayera de vendre à des promoteurs norvégiens. Un monde en suspens, en attente. L'avant-dernier plan du générique participe de cette volonté de supprimer toute présence humaine.
Il accompagne par un léger panoramique, premier des deux seuls mouvements de caméra du générique, la chute d'une imposante cascade (suite du cours de la rivière figée ?), cascade qui se situe derrière le Great Northern Hotel. Le plan sera réutilisé à maintes reprises par la suite, mais l'hôtel, et à travers lui la marque tangible d'une présence humaine, est ici coupé au montage (le bas des murs apparaît tout de même subrepticement au début du plan), pour mieux se concentrer sur l'évocation, et le cliché, d'une nature sauvage. Une nature sauvage qu'un effet de ralenti sur l'impact écumeux de la chute, au pied de la falaise, vient tout à la fois magnifier et réfréner. La caméra finit par longer le cours de la rivière, désormais apaisé. Une rivière aux eaux boueuses, gonflées comme on peut l'imaginer par les pluies et la fonte des neiges, sur laquelle se reflètent les arbres dépouillés de la rive opposée. Le générique s'arrête sur deux canards barbotant près des berges herbeuses. Retour à un équilibre très provisoire, puisque bientôt, sur la berge, lieu où depuis son commencement nous mène le générique, sera retrouvé le corps de Laura Palmer emballé dans une bâche en plastique. Figure moderne d'Ophélie, victime et parti prenante du dérèglement qui sous-tend toute une communauté. Incarnation de sa pureté factice et révélatrice de sa noirceur. Bienvenue à Twin Peaks !
ça donne envie de revoir la série, pour revenir au sujet dés le générique Lynch nous prépare donc à un dérèglement du quotidien en tordant les codes de la série et du soap mais si on montrait le générique à une personne ne connaissant pas la série, sentirait il les mêmes choses que nous, est ce que nous ne faisons pas un peu de sur interprétation ( pour le générique )parce que c'est Lynch justement ? Il faut que je revoie la série et des génériques et on en reparle.
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